Ma rencontre avec Solal date d'il y a cinq ans. A cette époque, sous de nombreux aspects, j'étais moi-même le Grec errant. C'est alors que j'eus la chance d'être accueilli par Marieke Neervoort qui me 'présenta' Belle du Seigneur et son écrivain énigmatique, Albert Cohen, qui, comme moi, avait passé la première période de sa vie dans l'île de Corfou.
Pendant
les trois ans où j'ai travaillé à ce mémoire de maîtrise, l'univers d'Albert
Cohen m'est devenu familier, c'est-à-dire 'de la famille' et 'connu'. Ses
personnages ont habité mon esprit: le tendre Saltiel, la noble Adrienne, la
mère Deume, le pauvre Adrien, les éblouissantes Aude et Ariane et le
magnifique couple Mangeclous-Solal. En colère contre Solal, je l'ai souvent méprisé, cependant sans jamais le haïr, retenu en cela par la conscience du charme infini de la faiblesse humaine, à mon sens magnifique contrepoint du Solal majestueux. Comment mépriser un homme qui se bat, qui se débat? Ce ne sont pas les finalités glorieuses auxquelles il aspire, ni ses réussites spectaculaires qui ont engendré ma fascination pour lui (car elles sont motivées par un individualisme frisant l'égocentrisme). Ce qui m'a ému chez Solal, c'est sa démarche pour atteindre l'absolu, démarche que cristallise sa quête. En effet, celle-ci se concrétise par une dialectique entre le héros et le social, exigeant des compromis dans la mesure où elle entraîne des conflits: en soi et avec l'Autre. Or, malgré ces conflits, Solal, véritable Sisyphe, continue avec une ténacité hardie à poursuivre son idéal. Et c'est, à la fois, la naïveté de croire au succès de cette entreprise aussi vaine qu'audacieuse, conjuguée à l'obstination désespérée de ses efforts, qui octroie au héros sa force et son charme; ou comme le disait Pagnol à Cohen lui-même: "tu te crois malin, mais c'est ta naïveté qui est admirable" (C: 50). Comment ne pas éprouver - en deçà de l'admiration et du mépris - une compassion tendre pour cet homme qui se bat contre les lois de deux mondes, contre le sentiment de déchirement, contre son manque d'appartenances, contre la finitude du corporel, enfin, contre l'inexorabilité de la mort. Ecoutons Cohen: "Lorsque je suis devant un frère humain, je le regarde et soudain, je le connais, et soudain, étrangement, je lui ressemble, je suis lui, pareil à lui, son semblable. Il est en moi. [...] Et parce que, en quelque sorte, je suis l'autre, je ne peux pas ne pas avoir pour lui, non certes l'amour que j'ai pour mes bien-aimés, mais une tendresse de connivence et de pitié. Ne me dites pas absurde, car ce que je dis est vérité, une vérité ressentie par moi, tant de fois ressentie" (C: 169). Avec le soutien dont m'ont fait preuve tout ceux qui me sont chers, la présente étude m'est devenue un projet dépassant largement le cadre stricte d'un mémoire de maîtrise tel que je l'avais envisagé. Je tiens à remercier certains d'entre-eux en particulier. Ma directrice de mémoire, Solange Leibovici qui, de par son enthousiasme et sa lucidité, ne m'a jamais fait perdre le plaisir de la recherche; Lucie Lemaitre, mon amie, ma sœur et complice dans l'abréaction; ma famille grecque - véritables Valeureux de mes origines - pour m'avoir donné le goût de la finesse, de l'humour et du pathos oriental; Annette Neervoort pour ses recherches empiriques; Grégoire, Jeroen, Anouk, Atie et Timon. Mais avant tout, je veux témoigner ma reconnaissance à ma mère, à Jaap Kooijman et à André van der Toorn, puisque, sans leur confiance et leur amour, ce projet n'aurait pas pu s'achever. C'est à André, à jamais mon frère et ami, que je dédie ce mémoire. Maarten Vervaat. Amsterdam, avril 1996. Références bibliographiques des ouvrages de Cohen cités dans le texte. PR
- "Projections ou Après minuit à Genève" (Revue
de Genève) Pour de plus amples références, consulter la bibliographie |